Le télétravail : une opportunité pour prolonger la vie professionnelle ?

Le prolongement de la vie professionnelle devenu incontournable

Le relèvement de l’âge de la retraite est à l’ordre du jour dans de nombreux pays de l’UE 28 afin de rétablir un équilibre entre cotisants et bénéficiaires de la sécurité sociale et d’assurer la continuité de l’Etat-providence. Encore faut-il que les travailleurs soient capables physiquement et mentalement de prolonger leur vie professionnelle et en mesure d’effectuer le travail attendu d’eux.
Afin de diminuer la pénibilité des conditions de travail, dont les risques psychosociaux, ainsi que de limiter les absences de longue durée, plus souvent rencontrées chez les travailleurs plus âgés, le télétravail apparaît comme une piste à privilégier pour le maintien dans l’emploi des travailleurs âgés de 45 ans et plus. En effet, le télétravail offre un certain nombre d’avantages susceptibles de rencontrer les attentes et besoins de ces travailleurs, tout en donnant également satisfaction aux employeurs. Le télétravail pourrait également devenir pour les travailleurs expérimentés:

  • Une opportunité de réinvestir les temps économisés dans les déplacements vers le lieu de travail dans un travail valorisant permettant de trouver / conserver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée
  • Une possibilité pour transmettre leurs savoirs d’expérience à leurs collègues moins expérimentés via des espaces de travail partagés à distance
  • Une transition vers un départ progressif à la retraite.

Les freins pour le télétravail des travailleurs expérimentés

La maîtrise des Technologies de l’Information et de la Communication

Le développement des entreprises s’oriente de plus en plus vers les changements technologiques et organisationnels, tout comme vers la mondialisation des prestations. Toutes ces évolutions contribuent à accélérer l’obsolescence des qualifications et requièrent entre autres de la part de tous les travailleurs, quel que soit leur âge, des compétences professionnelles et technologiques pointues outre une grande flexibilité face aux changements.
La faible appropriation des Technologies de l’Information et de la Communication (T.I.C.) par les travailleurs expérimentés et leur capacité à maîtriser les moyens de communication liés au télétravail est une croyance bien ancrée – chez la plupart des employeurs et dans la tête de certains travailleurs expérimentés qui, à force d’entendre des propos négatifs sur leurs capacités, finissent par y adhérer – qui se révèle être un frein pour le passage de ces travailleurs vers le télétravail. Bien souvent, l’âge apparaît ainsi comme un facteur « très déterminant » pour la maîtrise des T.I.C. en tant qu’outils de travail, parce que les travailleurs expérimentés sont alors perçus comme ayant des déficiences cognitives rendant difficile, voire impossible l’apprentissage de nouvelles connaissances et l’acquisition de nouvelles compétences.
Or, nous constatons que les personnes vieillissent de mieux en mieux et jouissent de toutes leurs capacités intellectuelles et physiques même à un âge avancé ; ce qui rend infondées les croyances sur leurs inaptitudes concernant la maîtrise des T.I.C. et leur aptitude à réaliser des tâches cognitives non routinières, analytiques et interactives, comme cela peut être le cas dans le cadre du télétravail où le télétravailleur doit pouvoir agir et interagir en toute autonomie.

Le manque de motivation

Un autre frein, alimenté lui aussi par des préjugés, porte sur le manque de motivation des travailleurs âgés face au monde du travail en général et à fortiori à l’égard du télétravail. Il est vrai qu’à force d’être cantonnés à des tâches routinières sans valeur ajoutée qui les confrontent souvent à l’ennui, les travailleurs expérimentés risquent bien entendu à terme de ne plus être motivés par un travail qui n’est pas ou plus motivant par manque d’adaptation à leurs spécificités et par manque de variétés et de défis. Combien d’entre eux peuvent encore bénéficier d’un entretien de deuxième carrière afin de redynamiser leur parcours professionnel, comme c’est le cas chez les travailleurs plus jeunes? Combien sont encore intégrés dans les plans de formation afin de développer leurs compétences, dont celles dont ils auraient besoin pour initier le télétravail ? Certes, les employeurs attendent des travailleurs expérimentés des prestations de qualité, comme pour l’ensemble des travailleurs, mais il faudrait également veiller à re-créer du sens dans ce qui est demandé au quotidien afin que la motivation et l’implication des travailleurs expérimentés ne fassent pas défaut, d’autant plus si le retrait du monde du travail est différé, voire lié à l’augmentation de l’espérance de vie.
La baisse de performance

Inévitablement, liée à la motivation, la baisse de performance des travailleurs âgés est également mise en évidence. Les employeurs ne souhaitent plus réaliser des investissements pour une main d’oeuvre qu’ils considèrent comme n’étant plus suffisamment performante et sur la case départ de la retraite. Or, la performance au travail dépend non seulement du travail antérieur (les conditions de travail et l’usure professionnelle), mais aussi des conditions du travail actuel.

Comment diminuer la facture numérique et rendre le télétravail accessible aux travailleurs expérimentés moins qualifiés ?

Des formations adaptées à chaque catégorie de travailleurs pourraient contribuer à réduire l’écart de maîtrise des T.I.C. entre les travailleurs de tranche d’âge différente afin que le télétravail devienne une option possible et faisable pour tous. A côté de cette démarche de formation continue, il ne faut pas sous – estimer les « mécanismes de compensation » mobilisés par les travailleurs vieillissants leur permettant de maintenir leur performance au travail. Sans oublier, que les travailleurs expérimentés sont devenus au même titre que les générations plus jeunes des utilisateurs expérimentés d’Internet connus sous la dénomination de « Silver Surfers » et que le rapport des seniors avec le monde numérique est en train d’évoluer très vite. La notion de fracture numérique qui mettait en évidence les difficultés des personnes âgées en matière de maîtrise technique et de compréhension des usages numériques évolutifs est, aujourd’hui, complètement dépassée*.

En conclusion

Le télétravail, d’autant plus s’il s’impose comme modalité de travail généralisée renvoie indéniablement à la question du maintien dans l’emploi des travailleurs âgés dans un contexte de changements technologiques rapides et importants. Certes, les préjugés relatifs aux faibles capacités d’adaptation et d’apprentissage des travailleurs expérimentés sont fortement enracinés, mais la baisse relative de certaines capacités peut être freinée par un « entraînement » continu, par des programmes de formation qui permettraient aux seniors (notamment les moins qualifiés) de maintenir leur capacités cognitives à un niveau élevé leur permettant de s’adapter aux changements technologiques et organisationnels.2
Sans doute, les obstacles au déploiement du télétravail parmi les seniors pourraient néanmoins s’amenuiser au fur et à mesure que les générations auront l’habitude d’utiliser les T.I.C. pendant l’essentiel de leur carrière professionnelle.
Enfin, nous lançons le pari que dans moins de 10 ans, le télétravail sera une réalité, banale, généralisée et accessible à la plupart des télétravailleurs, quel que soit leur âge et que les débats d’aujourd’hui sur le télétravail ne seront plus qu’un souvenir qui prêtera à sourire.

 

*Alava S., Moktar N. (2012). Les seniors dans le cyberespace. In : Recherches & éducations, mis en ligne le 15 juin 2012. http://rechercheseducations.revues.org/1096. Consulté le 23 août 2015.

Anne Debaty dispose d’une expérience de plus de 15 années en gestion de projets et en management des talents au sein d’organisations variées, tant en Belgique qu’à l’étranger. Philologue de formation, elle s’est très vite spécialisée en formation pour adultes, en ingénierie de la formation à distance et en gestion d’équipe. Elle a mené différentes missions de conseils et animer des formations sur mesure pour différents secteurs d’activités :banques, industries, maisons de repos, enseignement supérieur, fonction publique et organisations parastatales.

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