De la formation à la transformation

 

Christophe Hachez, Project Manager chez IFE Benelux, vous donne sa vision sur la formation de nos jours.

Depuis quelques années, l’univers du travail (en ce compris la galaxie des ressources humaines) s’enflamme autour de la révolution que représente l’essor du digital et tente d’anticiper les conséquences que cette modification de paradigme aura dans les différents secteurs professionnels.  On suppose l’émergence de nouveaux métiers, la disparition d’un grand nombre d’autres et l’évolution générale des fonctions associées aux « emplois du futur ».  C’est donc tout naturellement que le monde de la formation a décidé d’en faire son cheval de bataille principal tant au niveau des thématiques proposées que des modalités de formation qui tendent à se digitaliser année après année.

Un aspect de la question que les entreprises ont néanmoins des difficultés à envisager est celle de la place de leurs ressources humaines actuelles dans les nouveaux modes de fonctionnement mis en place.  Certes, on entend çà et là que les grosses structures engagent plus de freelances chaque année, que le mode start-up est prôné dans un nombre croissant d’entreprises et que l’intrapreneuriat sera demain la clé du succès dans les marchés concurrentiels… Mais comment les travailleurs vont être préparés aux bouleversements susmentionnés ?  L’accompagnement des équipes via la formation peut être une réponse à cette problématique, mais sans doute pas sous sa forme actuelle.  C’est le postulat qui va être développé dans les paragraphes ci-dessous.

Les changements professionnels induits par la transformation numérique

Lors du World Economic Forum de 2016, des experts internationaux ont mis en exergue les compétences-clés que devront posséder les talents de demain.  Bien que celles-ci ne constituent qu’une extrapolation difficile à confirmer tant notre société change rapidement (compte tenu de la nature VUCA[1] de notre monde), une tendance générale qui peut difficilement être niée est que les compétences cognitives et comportementales occupent une place de choix dans le classement.

[1] * environnement VUCA = environnement volatile, incertain, complexe et ambigu

Ce constat conduit à une double observation :

  • D’une part, les fonctions des travailleurs revêtent des aspects toujours plus stratégiques alors qu’un nombre croissant de fonctions opérationnelles sont digitalisées ;
  • D’autre part, la nécessité pour les entreprises d’être agiles dans le contexte actuel entraîne une autonomie plus grande des collaborateurs dans les prises de décision liées à leur emploi.

Intuitivement, on peut donc conclure que la transformation numérique est un enjeu certain pour les entreprises, mais que la modification induite des tâches et responsabilités qui vont incomber aux collaborateurs (quelles que soient leurs positions hiérarchiques) en compose un second qui est au moins tout aussi important aux niveaux stratégique et opérationnel.

Dans notre monde en mutation, il est par ailleurs indéniable que le citoyen (en tant que personne physique) passe progressivement du statut de simple consommateur à celui de « consommacteur[1] », notamment en ce qui concerne les savoirs et l’information.

Grâce au numérique (et notamment aux réseaux dits sociaux), tout un chacun peut désormais sélectionner les informations qu’il désire consulter parmi un large panel, mais également agir en diffusant les informations qui lui paraissent les plus pertinentes.

Un parallèle peut rapidement être fait avec le monde de l’entreprise et l’évolution de la nature des fonctions des employés mentionnées ci-dessus.  Comme dans sa vie citoyenne, le travailleur tend à devenir acteur de son propre travail plutôt qu’exécutant.  Par ailleurs, il n’hésite plus à s’exprimer si les intérêts de l’entreprise ne coïncident pas avec ses propres valeurs ou intérêts.

Et la formation dans tout ça ?

Comme évoqué en début d’article, on axe principalement les réflexions relatives à la formation sur la technologie en tant que telle. Or, celles-ci devraient plutôt se porter sur l’apprenant et, plus largement, sur les modifications des comportements, des aspirations et des fonctions des collaborateurs.

S’il est facile de transmettre des savoirs et si la mise en application des acquis par la pratique permet d’optimiser les compétences opérationnelles, le changement de comportements et le développement des compétences cognitives nécessaire pour aborder les changements évoqués s’avèrent être des missions autrement plus complexes.  Cela dépasse en fait les limites-mêmes des actions de « formation » qui se muent dès lors en actions de « transformation ».  Celles-ci requièrent notamment d’arriver à mobiliser les éléments humains autour d’un objectif commun, d’une culture commune afin qu’ils puissent donner du sens à leurs actions professionnelles.  En d’autres termes, pour qu’une entreprise soit performante, elle doit autant axer sa stratégie autour d’objectifs communs qu’autour de l’adéquation de ceux-ci avec les intérêts de chacun des collaboracteurs[2].

Considérant la formation comme une « action professionnelle » en ce qu’elle doit servir de levier de performance pour atteindre les objectifs de l’entreprise, l’affirmation ci-dessus la concerne également.  En effet, la mise en avant des intérêts personnels de l’apprenant sont une condition sine qua non à l’apprentissage efficace, a fortiori lorsqu’on parle de savoir-être et de changement profond et durable.

Au début de toute programme pédagogique, il est dès lors utile d’intégrer une large partie destinée à clarifier les bénéfices personnels que tireront les participants de la séquence d’apprentissage et à susciter l’intérêt pour les thématiques abordées.

En fait, plus généralement, il faudrait axer toute formation autour d’objectifs faisant sens pour les individus et les lier dans un second temps aux intérêts de l’entreprise.

[1] Mot-valise constitué à partir des mots « consommateur » et « acteur » pour désigner un consommateur qui n’accepte plus passivement les biens et les services qu’on lui propose.

[2] Autre mot-valise constitué à partir des mots « collaborateur » et « acteur » pour désigner un collaborateur qui n’accepte plus passivement les tâches qui lui incombent.

Cette approche, bien que paraissant tautologique, n’est que rarement adoptée.  Elle va en effet à l’encontre du modèle de Kirkpatrick, largement utilisé par les acteurs des ressources humaines pour évaluer l’impact et la réussite d’une formation. On peut observer que seuls les objectifs opérationnels, stratégiques et organisationnels de l’entreprise sont mis en avant.  Il n’est nullement fait mention de l’impact sur l’attitude de l’apprenant ni de son appétence (ou de son aptitude) à se développer par lui-même suite à son apprentissage.

Plus généralement, beaucoup de formations (même lorsqu’elles touchent à des compétences dites cognitives – la créativité par exemple – ou comportementales) sont focalisées sur des éléments concrets théoriques ou pratiques.  En d’autres termes, on passe beaucoup de temps à développer des contenus de formation, on parle parfois des modalités d’apprentissage adéquates, mais on oublie presque toujours de réfléchir sur « ce qui va pousser le participant à apprendre, à développer ses compétences, à changer ses habitudes ».

Or, quelqu’un qui ne veut pas apprendre n’apprendra pas tout comme quelqu’un qui ne veut pas changer ne changera pas.

Un autre aspect de la formation souvent négligé est l’implémentation des acquis sur le lieu de travail (« on-the-job ») suite à l’apprentissage.  A nouveau, c’est lors de la phase de développement du parcours pédagogique que la réflexion doit être menée et que des actions concrètes doivent être décidées afin d’ancrer les acquis, les pratiques et les attitudes sur le lieu de travail.  Divers outils (notamment MasterMind, mon petit préféré) permettent d’assurer l’application des apprentissages qu’ils soient relatifs au savoir, au savoir-faire ou au savoir-être.

Existe-t-il une solution miracle permettant d’assurer un niveau d’impact sur la (trans)formation ?

Étant donné les différentes façons de penser et les parcours de vie des individus peuplant une entreprise, si cette solution miracle existe, on peut assurément dire qu’elle passe par une personnalisation maximale des méthodes d’apprentissage et par le sens donné à l’apprenant au parcours d’apprentissage qu’il suit.

Compte tenu du contexte professionnel actuel, les étapes suivantes semblent être une bonne base pour vos réflexions autour du développement de toute action de formation ou de transformation :

  • Étape 1 : la sensibilisation (posture du participant : je veux faire/je veux être),
  • Étape 2 : l’acquisition (je sais comment faire/je sais comme être),
  • Étape 3 : l’application (je sais faire/je peux être),
  • Étape 4 : l’implémentation (je fais/je suis).

Afin de mobiliser les collaborateurs autour de parcours d’apprentissage, il est nécessaire de les sensibiliser au sujet abordé dans un premier temps, de leurs transmettre les acquis dans un second temps, de leur faire appliquer ce qu’ils ont appris dans un environnement « sécurisé » dans un troisième temps et d’enfin les aider à transférer ce qu’ils ont appris sur leur lieu de travail sur le long terme.

Bien souvent, on se préoccupe principalement de l’acquisition des savoirs et compétences (métier ou cognitives) et de leur mise en pratique tout en délaissant les phases de sensibilisation et d’implémentation.  Ce sont pourtant celles-ci qui font qu’une formation aura un réel impact sur le quotidien professionnel des apprenants.